Page:Ravaisson - De l’habitude, 1838.djvu/41

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la nature primitive comme dans cette seconde nature de l’habitude, se laisse donc entrevoir, au-dessous de l’unité centrale de la personnalité, la dispersion mystérieuse de la force et de l’intelligence, répandue, absorbée dans la substantialité de ses propres idées.

L’activité motrice comprend donc comme en une progression continue, toutes les puissances qui s’étendent de la volonté à l’instinct. Mais les puissances inférieures n’y sont contenues que sous une forme réduite et abrégée. Elles se développent en une série variée de fonctions et d’organes depuis ce faîte élevé de la vie, éclairé de la lumière de la pensée, jusqu’aux plus basses et aux plus sombres régions. Des fonctions locomotives aux fonctions préparatoires de la nutrition, de celles-ci à la nutrition même et à la végétation, on voit succéder aux mouvements distincts, figurables et mesurables dans l’étendue, des mouvements presque insensibles, puis des mouvements moléculaires, enfin des transformations chimiques et les opérations vitales les plus secrètes. La mécanique le cède de plus en plus au dynamisme irreprésentable et inexplicable de la vie. Le champ de l’imagination se ferme, le flambeau de l’entendement s’éteint, la volonté s’éclipse, et la conscience s’évanouit. En même temps, avec la symétrie et l’opposition des organes la centralisation de l’organisme diminue. À l’empire de l’unité cérébrale succède de plus en plus la diffusion de la vie dans une multitude de centres indépendants[1]. L’influence de l’habitude est puissante encore, avec celle de la volonté, sur les fonctions mixtes, supérieures à la vie végétale : elle se manifeste hautement, comme on l’a vu plus haut, dans le changement qu’elle apporte aux périodes qui en sont le caractère éminent. Elle s’étend aussi à la vie végétale ; elle y modifie profondément les instincts ; elle altère

  1. Bichat, Recherches sur la vie, art. II, sqq.