Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/130

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— Ah ! la fortune vous a toujours protégée, vous ! interrompit la Petanera en soupirant.

Mais Nichina, sans s’occuper de la réflexion, poursuivit son histoire.

Quand j’entrai chez ma bienfaitrice, je fus étonnée de voir, au lieu de la cellule de béguine que j’attendais, une maison décorée somptueusement. Sur la porte elle avait rejeté sa cape, son voile, son manteau et je m’aperçus que, sans rien perdre de sa physionomie respectable, elle gagnait une tournure non pas élégante, il est vrai, mais cossue. Elle avait un corsage très bas et fort lâche qui permettait à l’œil et même à la main d’y plonger ; un rochet de soie blanche, transparente et crêpée, bombait sur son ventre, serré par une ceinture de toile d’or. Elle portait des perles aux mains, aux bras, au cou : je ne sais où elle n’en avait pas. Le haut de ses cheveux était fort bien teint en blond mais la racine restait grise, ce qui faisait ressembler sa tignasse à une calotte au dessus brillant et aux bords usés. Comme elle remarquait la surprise que me causait son habillement :

— Une mise modeste, fit-elle, sied bien à une femme pieuse quand elle se rend à l’église, mais ne saurait lui convenir dans son intérieur lorsqu’elle doit recevoir les personnes les plus éminentes de la République et du monde entier. Ce luxe, cependant, est loin de me plaire. Il y a des jours, ma chère fille, où je voudrais être la femme d’un batelier, mais la comtesse Morosina de Jacomo des Ormesini se doit à elle-même. J’accepte, sans murmurer, les grandes obligations de mon rang, parce qu’il me permet de faire beaucoup de bien.