Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/136

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Don Gaspar qui se causait à lui-même en espagnol. Tout en conversant avec des marins de ce pays, j’avais appris quelques mots qui n’étaient pas les plus respectueux de la langue : c’étaient justement ceux-là que Don Gaspar proférait devant la maison.

— Vieja raposa, criait-il, cara de putilla, hija de corcovado !

Je rougissais de ces injures, mais la comtesse, qui semblait goûter ces paroles comme une voluptueuse musique, me dit avec les yeux d’une sainte ravie au ciel :

— Quelle langue harmonieuse que l’espagnol !

Je passai avec Cecca une nuit qui valut pour moi dix années d’école. Fort sagement, elle avait éteint les chandelles ; aussi ne s’aperçut-elle pas de ma rougeur et de mes étonnements. Sur l’amour, les procureuses, les hommes, l’existence en général et la vie galante en particulier, cette petite fille me dévoilait d’obscurs mystères. Quand je me levai du lit, j’aurais pu en remontrer aux plus instruites ; mais comme la science de Cecca ne se bornait point à des paroles, j’eus les membres fort las de cette longue leçon.

Je ne m’étais pas encore bien habituée à ma nouvelle condition, lorsque étant allée un matin jusqu’à la Mercerie, j’aperçus Guido qui s’avançait vers moi, le front couvert d’un emplâtre. Je ne sus plus où j’étais, tant mon émotion fut violente ; mes yeux se remplirent de larmes ; je tremblais de joie, de peur, de désir. Un instinct plus fort que toute prudence me dirigea vers lui. Il baissait le regard et ne me vit que lorsqu’il fut contre moi. Il eut un tel cri d’horreur que je me sauvai en courant jusque chez la comtesse. J’étais folle de chagrin, mais comme je songeais à tout ce qu’il pouvait me faire, la frayeur dominait mon affliction. À Morosina surprise de mon air égaré, je dis en pleurant :