Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/154

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placé à ma droite et la comtesse à ma gauche ; mais le conseiller me semblait supporter avec sérénité cette usurpation de ses droits ; et, tandis que Craddock me questionnait sur l’hérétique, Lannelongue nous conta mille aventures dont nous rîmes aux larmes.

Quand sonna l’heure du couvre-feu, Craddock désira m’accompagner dans ma chambre ; je pris congé de nos hôtes, assez étonnée de l’adieu jovial que m’adressa le Français.

Tout en me déshabillant, je demandais à Craddock pourquoi il avait choisi un compagnon de voyage avec lequel il ne cessait pas de se disputer.

— C’est, dit-il, la Providence qui me l’a imposé. Ne contrarions pas les intentions divines. Je venais d’arriver à Paris où j’avais, à la promenade, lié connaissance avec sa femme. Thomas nous rencontre en train de nous mugueter. Aussitôt la dame aborde son mari et lui donne un baiser en disant : « Papa, ce pauvre Anglais ne sait pas un mot de notre langue ; alors je le conduis dans Paris, tu veux, pas ? » Le soir, nous nous sommes accolés sous son nez, car le bonhomme est sujet au sommeil quand il rentre du tribunal. Depuis, il ne me quitte pas plus que son ombre ; c’est lui qui a eu l’idée d’entreprendre ce pèlerinage avec moi. Je le supporte à cause des histoires de cocus qu’il me raconte durant les longs trajets et qui ont, sur ses lèvres, une bonne odeur de vérité.

Mais soudain Craddock eut l’air d’avoir peine à se tenir. Il se courba en faisant une grimace horrible et en se pressant le ventre.

— Vous souffrez, messer ? lui demandai-je.

— Laissez-moi ! de grâce ! laissez-moi ! Je suis malade. Oh ! oh ! oh ! je suis très malade.

Et il se précipita vers la porte, l’ouvrit et disparut.