Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/178

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battues sur ses yeux, le nez dans sa barbe blanche et poussant des soupirs à la façon d’un agonisant, le père Samuele s’avançait plus lentement encore. Tout à coup, des applaudissements éclatèrent, faibles d’abord, pareils à un coassement de grenouilles, puis tonnant à la façon, d’une arquebusade. David, arrivé premier, recevait une bourse de dix ducats.

On se porta en masse du côté du vainqueur, et je fus entraînée, roulée par le flot. J’aperçus, à ce moment, le vieux Samuele qui, ayant repris haleine, s’était mis à courir à toutes jambes comme si le prix n’était pas encore gagné. Il souleva son chapeau jaune et, avec une grande humilité, s’agenouilla, inclina très bas la tête devant les juges, puis, se relevant brusquement, il regarda de haut le jeune David qui, attentif aux louanges dont on l’accablait, ne parut pas le voir. Alors, d’une voix criarde et pleurnicheuse qui agita d’un fou rire toute l’assistance, il l’interpella de la sorte :

— Je te dénonce à la face des seigneurs et du peuple, exécrable tricheur, larron des pauvres ! Si personne n’a remarqué ton jeu, moi je l’ai vu : tu n’as fait que la moitié de la course, en te dispensant de suivre la piste tracée. Mais tu vas voir si tu oses, à ma barbe, t’enorgueillir de tes brigandages. Le Dieu de Moïse, par ma propre main, va punir l’injustice et faire rendre gorge au voleur !

À ces mots, il poussa vivement David qui, surpris par cette brusque agression, trébucha et tomba par terre avec lui. Je vis ces deux corps noueux et souples, serrés en boule l’un contre l’autre, se débattre, rouler les pieds en l’air ; puis, à la suite d’un silencieux et rapide combat, il y eut un arrêt : un dos arqué aux os saillants et luisants sous la peau, une échine amaigrie, deux jambes tendues