Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/185

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— Mais qu’y a-t-il donc ?

— Un accident est arrivé à la course de buffles : on dit que trois cents personnes ont été écrasées.

— Que faites vous ici à causer ? dit un sbire ; vous feriez mieux d’aller sur l’Herberie.

On venait d’ouvrir les portes, et le spectacle de ces morts entassés était si épouvantable que beaucoup de gens se sauvaient, en se couvrant les yeux, comme s’ils étaient poursuivis par les affreuses images qui venaient de frapper leur vue. Malgré l’angoisse que me causait un si proche désastre, la vive et maladive curiosité que j’éprouvais d’aller moi-même contempler l’horreur, je restais, les jambes molles et tremblantes, au chevet de la pauvre femme, tandis que la mendiante, qui m’avait aidée, était en train de chercher le médecin. Morosina parut tout à coup sur le seuil de la porte.

— Comment, vous êtes garde-malade à présent ! dit-elle. Vous ne songez donc pas à la représentation de ce soir !

— Où étiez-vous donc, bon Dieu ? m’écriai-je.

— Hélas ! ma chère, répondit la comtesse, notre pauvre corps nous asservit à mille soins attristants.

Je lui appris le malheur qui était arrivé.

— C’est vraiment fâcheux, fit-elle, et elle poussa un soupir ; j’ai toujours dit qu’il fallait redouter les foules. Ne voyez-vous pas aujourd’hui que j’ai raison ? Mais, ma fille, pensez que vous devez jouer la comédie tout à l’heure.

— Sainte Vierge ! Morosina, que vous importe que je joue ou que je ne joue pas ?

— N’êtes-vous pas mon élève ?

Elle était entrée et, me prenant le bras, m’entraînait au dehors, de son pas tranquille et majestueux. Elle me conduisit sur la place du palais Sagredo, où l’on avait