Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/219

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l’acier, du souffle qui sortait en blanche vapeur de ses naseaux, faisait trembler ses flancs ou agitait sa croupe de joyeuses pétarades. J’étais si heureuse qu’à un moment, je me penchai sur Fasol, et, levant un peu mon voile, je lui tendis ma bouche humide. Il avait, lui aussi, oublié sa rancune. Il me prit dans ses bras, me souleva de selle et m’embrassa. Je lui répondis de toute mon âme sans savoir sur quelles lèvres je mettais mon baiser.

— Bravo ! bravo ! cria-t-on autour de moi.

Déjà, je surprenais les lèvres fines, le nez recourbé, l’œil narquois du provéditeur Toderini qui se détournait, quand un galop effréné retentit derrière nous et fit s’écarter nos chevaux. Nous fûmes aussitôt heurtés, bousculés, jetés de côté par une masse volante que nous reconnûmes, une fois remis de ce choc, pour être les personnes, jointes parfois et plus souvent désunies, d’Arrivabene et de la vieille jument blanche du cardinal que personne ne montait plus depuis des années. Le moine avait les jambes écartées, les bras raidis ; son vaste derrière sautait de droite à gauche sur la croupe emportée, et d’une voix enrouée il criait :

— Arrêtez-la ! arrêtez-la !

Soudain il fut lancé, cul par-dessus tête, dans un champ voisin de la route, tandis que la jument poursuivait sa course folle. Nous nous arrêtâmes à l’instant et deux domestiques descendirent de cheval pour venir en aide au moine, mais comme ils entraient dans le champ, ils se rencontrèrent nez à nez avec Arrivabene qui, déjà relevé, se frottait les fesses et, le front plissé, l’œil triste, leur sourit d’une lèvre aimable. Ayant même entendu s’élever des gémissements, il s’imagina qu’il en était la cause et se fit un cornet de ses mains pour crier aux cavaliers restés en arrière :