Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/223

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Les paysans rentraient alors pour dîner ; nous les vîmes accourir vers nous et nous menacer de bâtons, de fourches et de faucilles. Très irrité, le cardinal donna l’ordre de prendre le galop et nous piquâmes des deux, suivis d’Arrivabene qui s’enfuyait à perdre haleine, précédés de l’abbé Coccone qui, pour la première fois, laissait courir son cheval et s’en allait, le front penché sur l’encolure de la bête, blanc comme un linge, sans pourtant oublier, dans sa frayeur, de retenir d’une main tremblante, la précieuse cassette.

Les clameurs de cette canaille nous accompagnèrent longtemps. Nous réussîmes toutefois à y échapper et nous arrivâmes à Notre-Dame-des-Bois où nous devions passer la nuit.

Du haut de la colline que dominait le couvent, nos regards erraient sur les prairies de la vallée où flottaient déjà les ombres du soir. Sous le vent léger, les hautes herbes frissonnaient à perte de vue et, lentement, s’avançaient les petits dômes de laine blanche et roussâtre des troupeaux, parmi les abois, les bêlements, la sonnerie incessante des clochettes.

Un moine, qui avait la taille et les allures d’un capitaine, se promenait d’un pas grave sur le chemin, en égrenant son rosaire.

Je m’étonnai de l’expression humble de sa physionomie : il n’osa lever les yeux à notre passage.

— Voici un homme, me dit Fasol, qui portait peut-être en lui le courage d’un chef de bande, le génie d’un législateur ou l’enthousiasme d’un poète ; mais il a eu peur de vivre, et la Terre, profitant de sa frayeur, a vite fait de lui reprendre son âme. Il l’a laissée peu à peu s’évanouir dans les bois, les eaux, les pâturages, tandis que la folie de la servitude s’em-