Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/242

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— Enflammer notre sensualité ! Est-ce que nous n’avons pas pris soin de l’éteindre ? Les plaisirs de la chair nous sont indifférents. Nous ne sentons plus notre corps. Tenez, je suppose que vous m’ameniez la plus belle des courtisanes…

— Ne parlez donc pas si souvent de ces créatures.

— Non, seigneur abbé ! Je suppose donc que vous m’ameniez la plus belle des courtisanes, mais nue, absolument sans voile, ni jupe, n’ayant rien qui couvre sa gorge, ni son ventre, ni ses cuisses, ni…

— C’est bien, n’insistez pas, je comprends…

— Eh bien ! je resterais pareil à cette statue d’ange que vous voyez là-bas. Nous ne sommes plus touchés que par la gloire de Dieu. Et pourtant il y a ici des moines qui, autrefois, ont tué père et mère. Romuald, par son exemple, a su les ramener au bien. Aussi, je vous le répète, c’est un saint ! L’autre soir, une jeune fille, en danger de perdre l’honneur, est venue lui demander asile. Pour une fois, le père a cru ne pas devoir observer les règles du cloître ; et, la conduisant à sa propre cellule, il a passé la nuit à lui parler de Dieu. Mais, le lendemain, un homme s’est introduit dans le monastère, disant qu’il n’avait point mangé depuis deux jours. C’était l’amant de la jeune fille qui, ne pouvant satisfaire avec elle son criminel désir, voulait au moins se venger sur Romuald de la lui avoir ravie. Au moment donc où le père, avec sa charité ordinaire, s’apprêtait à soulager cette fausse infortune, le misérable lui a asséné sur la tête un terrible coup de bâton. Plusieurs frères, qui se trouvaient là, sont alors accourus, s’imaginant que le père était blessé. Ô miracle ! Romuald, devant le bâton rompu en deux, le front illuminé, les yeux remplis d’allégresse, étendait les mains pour bénir son meurtrier, qui était tombé à genoux et pleurait