Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/259

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Ce fut au tour de Gacialda de l’interrompre. Il ne parvenait pas à demeurer silencieux. Ses lèvres, brûlantes de paroles, remuaient toujours.

— Bravo, messer, dit-il. Voilà qui est excellent. Je vous avoue que la poésie et moi, nous ne couchons guère ensemble. Je trouve que les vers sont d’agréables balivernes. Quand j’étais jeune, j’en ai écrit moi-même quelques-uns pour ma bonne amie, hum ! hum ! je veux dire pour ma femme. Les vôtres sont fort jolis. Toutes mes félicitations.

Tandis que le duc parlait et qu’on servait les rôtis ruisselants de graisse, les pâtés de venaison, les crèmes aux fruits et que tous les convives s’occupaient de jouer des dents et des mâchoires, j’inspectais la salle, cherchant en vain à découvrir Guido. Je demandai à voix basse à Arrivabene, puis à Michele des Étoiles, qui tous deux se levaient de table, l’un pour aller au retrait et l’autre pour prendre un livre, s’ils l’avaient vu. Ils me répondirent l’un après l’autre que Guido n’était pas avec le cardinal. Alors je me sentis tout à coup triste et dégoûtée ; la lourde gaieté de Gacialda et de ses hôtes, la grossièreté de tous ces gens qui mangeaient avidement, ouvrant de larges bouches au-dessus des plats de viande saignante, me répugnèrent et, sans attendre la fin du souper, je montai à la chambre où je devais coucher avec Fasol.

Je m’étais toujours figuré, jusqu’alors, que Guido était avec nous et, bien qu’il ne parût point, la pensée que j’allais le voir bientôt, me rendait tout heureuse. À présent que je me savais loin de lui, perdue en ce pays de barbares, j’étais accablée de tristesse. La chambre que l’on m’avait donnée ajoutait encore à ma peine. C’était celle de Paola ; la jeune fille, déjà couchée, me regardait aller et venir de ses grands yeux étonnés, et je me disais que, tout à l’heure, Fasol me ferait la