Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/275

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— Je connaissais la Bombarda de longue date ; c’est une vieille camarade d’école. Il y a peu de femmes qui soient, autant qu’elle, intelligentes et laborieuses. Il faut la voir, aux grandes fêtes de l’année, quand Venise regorge de marchands et de voyageurs en quête d’aventure galante. En ce temps-là, elle ne ferme l’œil de la nuit ; inspecte sa maison du haut en bas ; par des lucarnes mystérieuses contemple les couples ; veille à ce que chacune fasse son devoir ; active du geste, de l’œil, d’une confidence glissée à propos à l’oreille, l’ardeur des plus jeunes ouvrières. Si quelqu’un, dans la crainte qu’elle ne tombe de lassitude, lui conseille de prendre un peu de repos. « Ah ! répond-elle, avec une fierté de commandant des galères, il faut que je sois toujours sur le pont. Comment, sans moi, marcherait mon équipage ? » Je pensai que ma fille, puisqu’elle se destinait à la galanterie, ne pouvait être en de meilleures mains, car moi, je ne voulais pas lui donner de conseils, ni lui servir d’exemple. Vous comprenez qu’après lui avoir trouvé un beau parti, il m’en coûtait de lui dire : « Ma fille, fais-toi une spécialité de caresses. Tu n’auras aucun amant en titre et tu les auras tous en secret. Tu passeras pour être leur esclave et ce seront eux qui te lécheront les pieds. Une complaisance d’un instant t’évitera de souffrir, toute une journée, leurs déclarations mensongères, leurs querelles amoureuses, leur brutale jalousie. Ils affecteront de te mépriser : tu y perdras quelques bouquets et tu y gagneras beaucoup de ducats. » Ce sont là maximes à mon usage et formant ce que j’appellerai ma morale personnelle, mais une mère de famille ne veut point pour ses enfants des chemins qu’elle a suivis elle-même : C’est un grand tort et je le vois bien maintenant. La Bombarda plaça tout