Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je vous crois ! Le Doge vient chez elle.

— Vous en êtes sûre ? demanda-t-il.

Et il la regarda d’un œil de peseur d’or, qui eût fait trembler des femmes d’une vertu plus incertaine et d’une âme moins bien assise. Morosina répondit d’un ton tranquille ;

— Certainement, cela est connu de Venise tout entière : il n’y a que vous qui l’ignoriez.

Moïse demeura quelques instants silencieux, puis, éclatant de rire et se frottant les mains :

— Ah ! ah ! s’écria-t-il, le Doge vient chez elle ! Le Doge vient chez elle. Eh bien ! il n’y viendra plus, je vous le promets !

— Comment cela ?

— Je veux la Nichina, moi. Je vais la prendre pour maîtresse.

— Je ne vous le conseille pas. C’est, paraît-il, une femme ruineuse.

— Ruineuse ! est-ce qu’on me ruine, moi ? Est-ce que je n’ai pas la Banque de la Foi ? la plus riche banque d’Italie ! Ah ! le Doge vient chez elle. Eh bien, je voudrais voir qu’il vînt chez elle la semaine prochaine, oui ! je voudrais voir ça, moi !

Dès le lendemain, Moïse Buonvicino se rendit à la maison de Morosina. Il ressemblait à un vieux marinier qui se serait déguisé en gentilhomme. Dans son visage, d’une laideur singulière, le nez seul trahissait la race. Il me fit ses propositions. Il était disposé à me couvrir d’or et à me meubler un palais. Seulement, je ne devais y recevoir que lui et ses amis. Naturellement j’acceptai, mais, une fois qu’il m’eut installée dans ma nouvelle demeure, il osa m’avouer sa passion.

— Ah bien ! dis-je, en voilà un goût ! Et que me donnerez-vous pour vous satisfaire ?