Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/359

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voilà qui est divertissant de se venger du juif avec son or. Pour une fois, les prédications de frère Martino de Calabre n’auront pas été inutiles !

Et il disparut.

Des mois s’écoulèrent. Moïse ne passait plus les soirées avec moi, ne m’adressait plus, comme jadis, des questions indiscrètes sur l’emploi de mon temps. Je profitais avec joie de cette liberté, sans en chercher la cause.

J’aurais même tout à fait oublié Michele et sa vengeance, lorsqu’un soir, au dîner, j’aperçus Moïse dont j’avais, depuis quelque temps, remarqué le visage triste et soucieux, qui pleurait en silence. La pitié qu’il crut trouver dans mes regards l’encouragea ; il laissa éclater sa douleur :

— J’ai mis toute mon existence, dit-il, à édifier la Banque de Foi. Mes jours se sont écoulés dans un continuel labeur : avant de te connaître, je n’ai eu ni amour, ni plaisir. C’était mon rêve, en enrichissant Venise, d’acquérir, pour moi et ceux de ma race, le droit de jouir de la vie comme les autres hommes ; je pensais qu’ayant rendu tant de services, je verrais, avant de mourir, se réaliser mes espérances. Et, tout d’un coup, par l’intrigue de quelques insensés, ma grande œuvre est détruite !

— Mais, dis-je en cherchant à dissimuler ma frayeur, qu’y a-t-il ?

— Il y a qu’il paraît, depuis quelque temps, d’abominables écrits, de venimeuses satires contre moi, contre ma Banque, contre mes coreligionnaires. Ne reproche-t-on pas à la Seigneurie de tolérer, dans une ville chrétienne, des agissements qui, selon l’auteur, sont criminels ? Un moine, nommé Martino de Calabre, déjà m’avait attaqué du haut de la chaire ; on reprend ses accusations ; on s’indigne des béné-