Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/393

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— Il vaudrait mieux qu’il mourût, fit-elle, puisqu’il ne m’aime pas.

— Oh ! pourquoi dites-vous cela ? repris-je.

— Vous avez vu que tout à l’heure il ne m’a même pas regardée !

— Il craignait de penser à vous, alors qu’il ne lui est permis de penser qu’à son armée.

Elle eut le sourire douloureux d’une femme éprise, qui veut espérer, qui espère toujours.

— Vous avez peut-être raison. Et je dois lui pardonner sa cruauté envers moi, puisque c’est à sa gloire qu’il me sacrifie. Mais vous, ajouta-t-elle, vous aimez aussi, n’est-ce pas ?

— Ah ! madame, je suis bien malheureuse, car l’homme que j’aime ne le sait ou ne s’en préoccupe pas : il ignore même que je suis au camp.

Ce fut à son tour de compatir à ma peine, et nous pleurions toutes deux, confondant nos chagrins.

— Les pauvres femmes sont à plaindre, dit-elle, la vie de ceux que nous aimons se joue en ce moment, et nous devons demeurer loin d’eux dans l’inquiétude.

Comme elle parlait encore, Arrivabene s’approcha et nous offrit de nous montrer la bataille. Il nous conduisit à une tour ruinée, qui se trouvait à quelque distance du camp, et d’où nous eûmes une vue immense sur la campagne. Au milieu des prairies, couvertes çà et là de bouquets de saules, et où l’Adda déroule son ruban clair, nous aperçûmes les clochers de Laudes et le château qui domine la ville. De petits points noirs, sans cesse plus nombreux, s’avançaient à travers les pâturages comme une bande de corbeaux. Soudain notre armée déboucha d’un bois de chênes. Les grosses masses serrées de l’infanterie se tendirent, semblables à des anneaux de serpents, pour enlacer l’ennemi, pendant que galopaient de petits chevaux qui, du point