Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/412

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— Vous le connaissiez donc ? me demandait-il.

Et ses yeux brillants m’exprimaient une pitié singulière.

J’eus peine à repousser les consolations dont il me poursuivait. Heureusement, l’hôtesse vint dans la salle, et je profitai de son retour pour payer mon repas ; mais, comme elle avait le dos tourné, je tendis la joue à cet homme compatissant :

— Tenez, dis-je, je vous permets d’y mettre un baiser, si vous voulez m’indiquer où ils sont allés.

Il eut un sourire et, avidement, il m’embrassa.

— Je ne puis rien vous affirmer, fit-il. Je crois pourtant leur avoir entendu dire qu’ils s’en allaient là-bas, là-bas, à Venise !

Au moment où je sortis l’hôtesse, qui avait vu son mari me caresser, courut vers moi en me lançant des injures ; mais elle ne réussit pas à me joindre.

Comme je marchais ! Comme j’avais hâte d’arriver, maintenant que je le savais à Venise ! C’est à peine si, à la fin du jour, je me décidais à m’arrêter pour un court repos ; et dès l’aube, j’étais sur les chemins.

Par une journée chaude, pour gagner une route qui devait abréger mon voyage, je pris les bois, au risque de m’égarer. Je descendis le long de roches abruptes ; je traversai des fourrés, des carrières pleines d’eau, des marais où je faillis rester embourbée. Après toutes sortes d’angoisses et d’efforts, j’atteignis la route, mais je ne pouvais plus avancer. J’avais les pieds gonflés à éclater ; les chevilles coupées par mes souliers. Chaque pas était pour moi un supplice. Je m’assis contre un arbre, désespérée.

Il n’y avait pas un instant que j’étais là, quand un cavalier vint à passer. Je l’appelai à grands cris. Il arrêta sa monture.

— Mon bon seigneur, dis-je, accordez-moi une grâce :