Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/435

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remplacer. Mais son successeur me terrifia en m’assurant que Guido était perdu, qu’il ne passerait pas l’année. C’est alors qu’avec cette ardeur de vie que rien ne désespère et qui cherche partout le salut, je me souvins de Fasol. Si l’homme me répugnait, son génie vaste, épris des formes innombrables de l’existence, m’émerveillait toujours. Ce n’était pas seulement un peintre et un poète, mais aussi un savant. On citait plusieurs cures extraordinaires qui étaient son œuvre. Il m’avait soignée moi-même une fois que j’étais très malade et m’avait guérie presque aussitôt. Il me disait souvent que nul médecin ne connaissait comme lui le corps des hommes et les vertus des plantes. Je m’imaginai que seul il était capable de sauver Guido. Je fus longtemps à me décider, redoutant de sa part un mauvais accueil et me disant qu’après tout il n’en savait pas plus long que les médecins. Mais je me reprochai ces hésitations comme une lâcheté qui pourrait coûter la vie à Guido ; et, résolue à partir le jour même, je n’attendis même pas que mes chevaux fussent revenus de la promenade. Je m’en allai à pied à Venise. Dès mon arrivée, oubliant ma fatigue et sans me préoccuper du négligé, du désordre de ma mise, je frappe à la porte de Fasol. Il vint m’ouvrir lui-même.

— Oh ! c’est toi ! va-t’en ! va-t’en ! s’écria-t-il en voulant refermer la porte. Oh ! va-t’en ! tu m’as fait trop de mal.

Mais j’étais déjà sur le seuil. Il vit ma robe salie, la pâleur de mon visage, mes yeux fiévreux et inquiets ; alors il eut pitié.

— Que t’est-il arrivé ? dis-le, Nichina, conte-moi ta peine.

Et, comme jadis, il m’attira près de lui.

— Tu vois comme tu m’as fait pleurer. Regarde mes yeux. Ils ont versé tant de larmes qu’ils ne voient