Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/447

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tel malheur. Je le caressais, je le baisais, je l’appelais des noms les plus doux. Je priais Dieu, la Vierge et les Saints de me le conserver. Et je me couchais sur son corps, baisant ses lèvres glacées, essayant de toute la chaleur de mon haleine, de toute l’ardeur de ma passion, de lui rendre la vie, espérant un miracle, n’imaginant point que cette chère œuvre de beauté pût être ainsi détruite. Hélas, mon bien-aimé Guido, l’homme pour qui j’avais tout fait et tout souffert, était devenu un pauvre mort.

Quand mon esprit eut accepté l’odieuse vérité, ma douleur fut infinie. Si alors je ne me suis pas tuée de désespoir, c’est que le désir de venger Guido soutint mon existence. Après avoir pleuré toutes les larmes de mes yeux, mon chagrin se changea en une immense colère, en une soif horrible de représailles. Je ne doutais pas que Fasol eut empoisonné mon ami.

— Exécrable traître ! disais-je, je veux que l’on t’écorche tout vivant ! je veux que l’on t’écartèle ! je veux que l’on t’arrache la langue ! Ou, plutôt, que l’on t’enferme dans une geôle où tu te lamentes des années au milieu des plus lents et des plus affreux supplices !

Et courant à mon bien-aimé qui reposait sur son lit entre quatre flambeaux de cire :

— Oh ! Guido, m’écriais-je, je lui ferai expier son meurtre ! oui ! je te le jure !

J’écrivis le lendemain au Conseil des Dix, dénonçant Fasol comme assassin.

Déjà une réaction violente s’opérait contre son œuvre et ses idées. Le frère Martino de Calabre l’accusait volontiers, du haut de la chaire, de corrompre les jeunes gens par ses œuvres sensuelles, et lui reprochait d’avoir peint, jusque sur les murs