Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/460

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nourriront de l’air du temps et le loup n’y paraîtra qu’à la fin.

Je l’accompagnai jusqu’à la terrasse et le regardai s’éloigner. Il n’avait pas fait cinquante pas sur la route qu’il fut assailli par une bande de jeunes gens qui l’accablèrent d’injures.

— Fourbe ! Imposteur ! Hypocrite ! criaient-ils.

J’envoyai mes domestiques chasser ces mauvais garçons. Michele alors revint vers moi, me remercia, et, tout en secouant la terre dont on avait couvert ses habits :

— Ce sont, dit-il, des étudiants de Padoue qui ont suivi mes leçons sur l’amour platonique et ne me pardonnent point maintenant de venir voir une courtisane. Ces pauvres enfants en sont encore à ma philosophie de l’hiver dernier. Ils ne se tiennent pas au courant de mon évolution. Pardonnez-leur, mon Dieu !

Il s’en alla enfin, et je ne l’ai jamais revu depuis. On m’a dit qu’il a fait un riche mariage. Cela ne m’étonne pas. Avec les années, l’argent, qu’il méprisait d’abord, lui avait paru digne de ses ambitions, et ses derniers écrits, d’une moralité parfaite, lui avaient gagné l’admiration des patriciennes, heureuses, en les lisant, de se découvrir de si belles âmes.

Peu de temps après son départ, comme j’allais entrer à Saint-Antoine de Padoue, je me heurtai contre une femme en haillons qui balayait les marches. Quelle ne fut pas ma surprise en reconnaissant Lucietta ! Les larmes me coulèrent sur les joues.

— Oh ! ma pauvre petite sœur ! m’écriai-je.

Lucietta laissa le balai, se frotta les yeux et rougit de honte en m’apercevant.