Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/480

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perdons pas de temps. Profitons du soleil et de cette douce fin de jour. Si nous allions à Murano ?

— Je n’ai pas d’argent sur moi.

— J’en ai, moi. Je t’entretiendrai aujourd’hui. Mais d’abord change de robe. Mon frère, justement, qui est de ta taille, a laissé l’autre jour des habits de fête chez moi. Tu peux les prendre, ils t’iront toujours mieux que ton sale froc. Et puis je n’aime pas sentir le moine dans mon lit. Tiens, voici ma clef. Va te changer et reviens vite. Nous irons ensuite chercher une barque. Allons ! vite !

Je me hâtai d’aller chez Carlona prendre des vêtements décents. Ce fut une bien grande joie de dépouiller pour toujours cette vilaine robe de frère mineur.

Je retournais vers mon amie, lorsqu’un mendiant s’approcha de nous et nous demanda l’aumône. Je le reconnus avec stupeur.

— C’est toi, Liello de Cecco, toi si riche autrefois !

— C’est moi ! ma maîtresse m’a ruiné et je suis forcé d’avoir recours à la charité des passants. Donne-moi un ducat, tu m’obligeras.

— Traître ! dis-je, tu n’auras pas un bagattino. M’as-tu obligé toi-même quand je venais te demander l’hospitalité ! Je te rends la monnaie de ta pièce !

À ce moment, nous fûmes abordés par un petit jeune homme, à la poitrine plate, perché sur de maigres et longues jambes, et dont la tête branlante, ébouriffée, sans menton, aux yeux, aux lèvres énormes, ne semblait pas tenir sur ses épaules. Jamais je n’ai vu figure plus animale ; il y avait dans cette physionomie du porc, du dogue et du mouton. Avec un regard candide et un sourire plein de méchanceté, il déroula devant Carlona un parchemin dont elle regarda seulement les dernières lignes.