Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/60

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rière moi les vieilles dames, laissant s’épanouir leur gaieté, gloussaient comme des poules qu’on effare, et les jeunes, plus retenues, étouffaient des rires qui finissaient, à la façon d’une mine, par éclater en formidables explosions.

Pressé par les vins forts dont il avait bu en abondance au dîner, le moine avait levé sa robe et s’était placé derrière un arbre.

— Tu vois, cette petite Polissena, me dit-il tout en arrosant les plates-bandes de Madame Nichina, elle a des yeux doux comme une fleur, une bouche d’innocente et, avec cela, il n’y a point, dans Venise, de coquine plus accomplie. Des gentilshommes se sont ruinés pour elle, et l’autre jour, elle a fermé la porte au nez d’un Conseiller de la Seigneurie qui ne lui avait offert que vingt ducats. Eh bien ! dès ce soir, je l’aurai, et je la paierai d’un sourire.

À ces paroles, je ne pus dissimuler un mouvement d’indignation.

— Arrivabene, dis-je, tu es un vil scélérat. Comment ! tu viens de jurer de ne plus servir que la sainte Vierge, et déjà tu es prêt à violer ton serment.

— Mon frère, tu te trompes : je connais trop la faiblesse humaine pour m’engager avec des serments ; j’aurais crainte de me parjurer. Il est certain que j’avais tout à l’heure la ferme intention de vivre dans la chasteté, mais si je ne possède pas la grâce du bon Dieu, tous mes efforts vers le bien seraient inutiles. Or, ce soir, je suis forcé de le constater, le bon Dieu m’a lâché, sans défense, au milieu des plus insurmontables tentations : vins du meilleur crû, chère exquise, dames grasses et libertines ; et, comme si ce n’était pas assez d’ennemis à combattre, Polissena vient me dire à brûle-point que j’ai pris son cœur !

— Hein ! fis-je étonné.