Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/62

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Lorsque j’entrai au palais Benzoni, Arrivabene se promenait dans le vestibule ; il m’accueillit très aimablement. Après un bref interrogatoire, il m’annonça tout à coup qu’il m’acceptait et que je faisais partie de la maison du cardinal. Chargé de trouver un page, il avait hâte de remplir sa mission.

Sa figure joviale, avec ses arabesques de boutons et de rougeurs, m’égayait fort, mais je ne pus retenir un cri quand je vis s’approcher de moi le frère à tête de cadavre que j’avais entendu prêcher sur la Place-aux-Herbes. À son extraordinaire maigreur, à sa démarche qui ressemblait à une suite de bonds rythmiques, à son visage aux orbites profondes comme des trous et où le regard disparaissait, on eût dit un crâne au bout d’une perche que faisait sauter un bouffon. Il était accompagné d’un prêtre jaune et sec, aux yeux soupçonneux, que depuis je sus être l’abbé Coccone.

Arrivabene me présenta.

— Encore un petit mendiant ramassé dans le ruisseau ! s’écria Coccone.

— Mais, reprit Arrivabene, il a la physionomie intelligente : il saura nous être utile.

— Sans doute, approuva le moine à la face de cadavre, d’une voix qui semblait lui sortir de l’estomac. On peut attendre quelque chose de tout enfant du peuple : si, au contraire, c’était le fils d’un gentilhomme, je ne garantirais rien, car la corruption s’attache aux grands, mais la vertu habite le cœur des pauvres.

— Avec une pareille engeance, dit l’abbé Coccone sans écouter le moine, le palais de Monseigneur va devenir le réceptacle de tous les vices.

J’entends alors un pas léger et le battement d’une traîne de soie contre les degrés de marbre du grand