Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/67

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— D’où vient ce monstre ? Est-ce qu’on l’a déterré du cimetière des Saints-Apôtres ?

Par bonheur, frère Gennaro n’entendait pas. Après s’être largement signé, il attendait, en silence et les yeux baissés, qu’on le servît. Il ne s’occupait ni de ses compagnons de table, ni du luxe qui l’entourait. La partie de la fresque qui était devant lui représentait deux danseuses précédant l’entrée triomphale d’Alexandre à Suse. La première montrait son ventre lisse et ses seins épanouis ; l’autre, posée de derrière, offrait toute la plénitude et les larges cambrures de son corps. Mais Gennaro ne les voyait pas, non plus qu’il ne respirait les fleurs éparses ou jointes en bouquet sur la table. Le mouvement précipité en avant et en arrière de sa lèvre inférieure, découvrant les quatre dents qui lui restaient au fond d’une bouche noire comme une cave, des grimaces qui sillonnaient sa vieille peau de mille rides, indiquaient assez qu’il marmottait des prières. Peut-être, en cette salle somptueuse, se croyait-il au ciel ou dans le désert.

— C’est un pauvre moine florentin, disait le cardinal à Fasol : une lettre de frère Girolamo lui a égaré l’esprit. S’imaginant que Dieu l’avait choisi pour continuer l’œuvre de son maître, il s’est sauvé de son couvent et s’est mis à prêcher, de ville en village, toutes les folies qui lui sont passées par la tête. Après l’émeute sanglante qu’il a provoquée le jour du Jeudi gras et où il a failli laisser sa peau, le Saint Office l’a fait arrêter. On devait l’envoyer à Rome quand je suis intervenu en sa faveur auprès de mes collègues et me suis chargé de sa conversion. Je pense bien qu’il ne changera jamais, seulement, que voulez-vous ? il m’amuse.

Et il cria d’une voix forte :

— Frère Gennaro ! Frère Gennaro ! à quoi pensez-vous ?