Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/70

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de Fasol, lui mit, parmi ses boucles noires, un long baiser sur le front.

— Ah ! monseigneur, dit Fasol, pourquoi faut-il que vous estimiez mon art et que je ne puisse arriver, malgré tous mes efforts, à goûter vos poésies ?

Benzoni, qui n’attendait pas ce compliment, fut atteint au vif. Malgré toute son indulgence, il supportait difficilement qu’on lui refusât les dons des Muses. Aussi, lança-t-il à son hôte un regard terrible, où la colère et la tristesse se mêlaient au remords d’avoir offert une louange improductive.

Satisfait de l’aventure, Coccone considérait le cardinal de ses yeux clignotants et tendait vers lui son museau de renard.

Mais Fasol reprit :

— Je crois bien qu’il n’exista jamais un esprit plus doué par les dieux et plus aimable aux hommes que le vôtre. Mais si, dans nos entretiens, vous montrez toutes les richesses d’intelligence dont la Fortune vous combla, il me paraît que, dans vos vers, vous prenez sur vous de les dissimuler avec autant de soin qu’un avare dérobe ses trésors. Votre esprit est excellent, mais un étrange démon l’emmène en de mauvaises voies. Ainsi vous révérez Pétrarque, Guido Cavalcanti et Cino de Pistoia. Ce sont de mauvais modèles, monseigneur. Leur amour ressemble à une dame malade et craintive du froid, qu’on enveloppe si bien de vêtements et à laquelle on fait boire tant de tisanes, qu’elle n’a plus formes ni haleine de femme. Je ne sais rien de beau comme une simple Vénus. Les héroïnes du poète Horace, Pholoé, Lycé, Myrtale ou Lydie, ces belles amoureuses dont les voiles de Cos ne cachent point les chairs, et jusqu’à ces servantes de plaisir qui attendent l’étreinte des hommes debout et toutes nues sous les claires lanternes de Suburre,