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JOURNAL D’UNE DAME CRÉOLE


naîtras point l’étreinte odieuse qui détruirait la grâce de ton jeune corps et te ferait sentir la douleur, toi qui jusqu’ici as ignoré tous les maux ! Je ne te demande pas aujourd’hui ton amour ; je suis patiente ; un jour peut-être ta gratitude s’éveillera pour mon bienfait, mais, en attendant, laisse-toi adorer. Que je puisse prouver, autrement que par de vaines paroles, la force de la passion que je ressens pour toi, et que ma chair porte en ta chair le feu qui la dévore. Dieu ne nous maudira pas, ô la plus chérie, il ne peut condamner l’amour qui veut pénétrer et défendre ta perfection. Et nous nous aimerons dans l’ombre, mystérieusement, sans que personne au Cap puisse se douter que tu n’es pas seulement ma fille, mais mon épouse adorée !

J’étais encore devant la porte de M. de la Pouyade lorsque je rencontrai Mme de Létang. Ce n’était plus la femme qui se laissait porter par l’existence avec tant d’indolence et de mollesse, et que rien ne semblait émouvoir. Les yeux rougis et cernés, le sein soulevé de sanglots, elle marchait très vite et comme au hasard, se heurtant contre les pierres de la route, chancelant, paraissant avoir peine à se soutenir. J’oubliai toute rancune, j’allai vers elle, je lui pris les mains ; elle n’eut point de larmes, ni de paroles, tant elle semblait hébétée par la douleur.

— Consolez-vous, ma pauvre amie, lui dis-je, nous retrouverons votre chère Agathe et nous châtierons le misérable ravisseur. Ne m’a-t-on pas dit que le chef