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Page:Reclus - Correspondance, tome 1.djvu/152

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leur a imposés. Cependant le grand pic a été mesuré à plusieurs reprises par les navigateurs, il a six mille quatre mètres de haut. Aucune chaîne de montagnes n’est plus facile à explorer, car aucune n’a de structure géologique plus simple. Sa crête est parfaitement parallèle à la mer et forme une quinzaine de vertèbres d’où descendent de chaque côté autant de chaînes transversales, semblables aux côtes d’un corps humain. Quinze rivières prennent leur source de chaque côté de la crête et descendent chacune par sa vallée transversale, celles du nord à la mer, celles du sud au rio César, affluent de la Madeleine ; c’est dans la troisième vallée du côté nord, à l’extrémité orientale de la Sierra, que nous avons l’intention de fonder notre rancho. La première vallée est celle du rio Dibulla, la seconde, celle du rio Canas, la troisième, la nôtre, celle du rio Aricho, et c’est de là que je partirai pour faire mes tournées et mes expéditions dans les montagnes.

Les habitants de la Sierra sont les Indiens Aruacos, pauvres enfants bien doux qui font une explosion de rire pour dire oui ou non et regardent tout avec la curiosité sans intelligence de l’oiseau. Ils sont hypocrites comme tous les faibles, mais leur hypocrisie n’est point perfide, c’est l’hypocrisie de la sarigue qui fait la morte dès qu’on la touche, de peur d’être torturée ou mangée. On les dit originaires de la plaine ; la barbarie des Espagnols leur fit chercher un refuge dans ces montagnes d’un accès difficile aux envahisseurs. On voit bien, en effet, que les Aruacos ne sont pas un peuple montagnard, car ils n’ont ni force ni courage. Les femmes n’ont pas non plus de grâce dans les attitudes ni de goût dans les vêtements ; elles portent leurs enfants dans des sacs suspendus à leur