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Page:Reclus - Correspondance, tome 1.djvu/206

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Devant chaque grand rocher, et certes il n’en manque pas en Suisse, est installé un montagnard à l’extrémité d’un immense cor, prolongé d’une grande table d’harmonie en bois. Dès que le voyageur paraît, il est assailli par tous les échos du rocher dont l’harmonie plaintive dit clairement : Donnez-moi dix sous ! Donnez-moi dix sous ! Puis des gamins s’accrochent à vos jambes, vous ferment et vous ouvrent des barrières, vous ôtent les touffes d’herbe de dessous les pas, traduisent le ranz des vaches, donnent des explications géologiques sur le soulèvement des montagnes ; si vous avez le mauvais goût de ne pas payer leur exubérante servilité, ils se redressent et vous traitent de voyageur sans le sou. Encore n’ai-je parlé que de ceux qui prétendent rendre service pour service, mais combien de mendiants qui demandent purement et simplement ! Le premier que nous avons vu en Suisse était vraiment effroyable, et son image me poursuit encore. C’était un nabot à la tête énorme, sillonnée de grandes escarres, ses yeux ronds brillaient d’un éclat gras sous une forêt de sourcils ; sa large bouche ricanait d’un rire féroce, ses vêtements massifs, et d’un brun sale comme sa peau, semblaient faire partie de son corps. Dès qu’il nous vit, il se précipita vers nous en grognant comme un tapir et tendit ses deux mains réunies en forme d’écuelle, nous y laissâmes tomber notre sou avec frayeur.

Je pense être le 24 à Sainte-Foy.

La suite de mon histoire à nos réunions du coin du feu.

Votre frère.
Élisée.