Page:Reclus - Histoire d’un ruisseau.djvu/155

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sauts et les plongeons de la masse énorme. Sans trêve, sans repos, le tronc ballotté des eaux allait de la cascade au rocher et revenait du rocher à la cascade ; là, il roulait sur lui-même, se perdait un instant dans l’ouragan d’eau et d’écume, puis reparaissait au loin en se dressant hors de l’abîme comme un mât de navire naufragé. Retombant avec bruit, il flottait lentement jusqu’à l’extrémité du bassin, et se heurtait contre une paroi qui le renvoyait vers la cataracte. Symbole des malheureux que poursuit l’inexorable destin, il tournait, tournait sans cesse comme la bête féroce enfermée dans une étroite cage de fer. Pourtant nous attendions naïvement qu’il voulût bien sortir du cercle fatal et flotter vers la vallée sur le courant ; secrètement irrités contre lui de ce qu’il tardât si longtemps à continuer son voyage, nous nous étions promis d’attendre son départ pour aller savourer en triomphe notre déjeuner. Mais hélas ! le monstre ne mit point de terme à ses rondes et à ses plongeons, et pressés par la faim,