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Page:Reclus - Histoire d’un ruisseau.djvu/231

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les ruses de la truite ; il les respecte presque comme des adversaires, il ne veut les combattre que de franc jeu et s’irrite que des braconniers indignes travaillent à en détruire la race.

Souvent, en me promenant le long du ruisseau, j’ai pu étudier à mon aise le pêcheur idéal, le tranquille pêcheur à la ligne, derrière lequel l’araignée tend paisiblement ses filets entre les branches. Il se serait bien passé de ma présence qui troublait ses rites religieux ; il ne tournait point la tête vers moi et ne faisait pas même un geste d’impatience, mais je sentais qu’il m’était hostile, et, de peur de soulever sa colère, je marchais sur l’herbe à pas étouffés, retenant mon haleine. Peu à peu, il ne voyait plus en moi qu’un trait de paysage comme une roche ou un tronc d’arbre, et moi, de mon côté, je pouvais l’admirer en conscience. Certes, il n’y a point de fraude en lui. C’est avec une foi sincère qu’il met son appât, qu’il jette sa ligne et pendant des minutes ou des heures