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Page:Reclus - Histoire d’un ruisseau.djvu/289

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eux une triple traînée, ici de flocons blancs, plus bas d’un mélange grisâtre de neige et d’eau, plus bas encore de pluie. Pourtant, dans cette glaciale atmosphère, les bûcherons suent à grosses gouttes, car ils manient la coignée, et à chaque coup qu’ils portent sur le tronc d’un arbre est lancé l’effort de tous leurs muscles. En lutte avec l’énorme sapin qui, depuis des siècles, vivait librement sur le roc de la montagne, ils sont peu à peu saisis de cette rage qui s’empare toujours de l’homme acharné à détruire une autre existence. Comme le chasseur poursuivant une proie, comme le soldat cherchant à tuer son semblable, l’abatteur d’arbres s’exaspère dans son œuvre de destruction parce qu’il sent avoir devant lui un être vivant. Le tronc gémit sous la morsure du fer, et sa plainte est répétée de proche en proche par tous les arbres de la forêt, comme s’ils compatissaient à sa douleur et comprenaient que la hache se retournera contre eux.