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l’homme et la terre. — travail

D’ailleurs, les mêmes individus peuvent appartenir aux stades différents de la civilisation suivant la saison de l’année. Les Khotonts, qui vivent au milieu des Mongols et qui sont probablement des immigrés du Turkestan, ne se livrent à la vie nomade qu’après avoir ensemencé leurs champs. Les Cosaques de la Transbaïkalie, riches en campagnes bien cultivées, s’enfoncent en été dans l’intérieur de la Mongolie, heureux d’errer pendant plusieurs mois dans les vastes solitudes. Et la « vie des Alpes » pour les villageois suisses, est-elle autre chose qu’une rotation de l’état d’agriculteur à celui de pasteur[1] à la façon des Kalmouk, des Kalkha, des Buriates ? Dès que la végétation se réveille les Suisses habitant les vallées arrosent leurs prairies, sarclent leurs cultures, puis ils montent vers leurs vignes, dont ils réparent les fossés et les appuis ; l’été s’annonce et les troupeaux s’élèvent joyeusement vers les hauts alpages, dans l’herbe fraîche et savoureuse des montagnes ; quand les froids s’abaissent vers les plaines, il faut redescendre au plus vite, mais les bûcherons restent dans les forêts et les troncs d’arbre filent sur les glissoires et cheminent entraînés par le courant des fleuves.

Suivant les milieux secondaires de chaque pays, les populations se répartissent en sociétés partielles : l’ensemble de l’humanité se résume dans chacun de ses groupes. On peut même dire que chaque famille offre dans une certaine mesure ce raccourci du genre humain, car les divers travaux, depuis ceux qui se pratiquent dans la hutte d’un sauvage — telle la préparation d’un mets traditionnel — jusqu’aux plus raffinés, comme la lecture et l’écriture, c’est-à-dire la communion des pensées à distance, s’accomplissent sous un même toit. Tout stade de la civilisation comprend une infinité de survivances datant chacune de périodes historiques différentes, mais s’unissant en un organisme harmonique, grâce à la vie qui incorpore les traditions de toute origine et de tout âge en une seule conception générale.

Les forces nécessaires à la production du renouveau dans l’homme et dans la société sont toujours dues à une impulsion venue du dehors, même chez l’enfant génial qu’anime un sentiment de révolte contre les pratiques ou les obligations héréditaires. Parfois, l’impulsion pro-

  1. A. A. Klemenz, Soc. d’Anthr. de Saint-Pétersbourg, 1901 ; — Globus, 21 nov. 1901, p. 310.