Page:Reclus - L’Homme et la Terre, tome 1, Librairie Universelle, 1905.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
154
l’homme et la terre. — travail

D’après les intéressantes recherches des ethnologistes américains, c’est dans les contrées mexicaines du Nord que se trouvent les peuplades qui auraient le mieux réussi jusqu’à nos jours à se maintenir à l’écart des autres hommes, grâce à la ceinture de déserts qui les entoure du côté de la terre et au détroit qui limite l’île de Tiburón, la part la plus importante de leur domaine. Vivant, en dehors des chemins de migration des peuples, ignorés des marchands, aux aguets pour fuir tout être vivant qui ne serait pas un gibier, les Seri auraient si bien conservé les conditions primitives de l’humanité originaire que naguère ils n’avaient pas encore atteint la période éolithique : ils ne savaient pas même retoucher un éclat de pierre, mais se servaient du caillou brut, suspendu par un filet de lianes ou de racines.

Ils en étaient donc à un état social antérieur aux « âges de la pierre », mais ils avaient sur tous les autres hommes, et possèdent encore sur leurs contemporains, l’avantage de la vitesse, puisqu’il n’est pas de hôte qu’ils ne fatiguent à la course : c’est même grâce à cette rapidité de marche qu’ils ont pu vivre quand même, échapper aux massacres en masse auxquels procédèrent successivement les Espagnols, puis les Mexicains « civilisés ».

Les Seri, en horreur à leurs voisins, sont devenus notoires par leurs habitudes de scatophagie. Ils ont pendant une grande partie de l’année la figue de Barbarie, la lana, pour aliment principal, et comme une part de ces fruits, dont ils mangent en quantités énormes, passe à travers l’organisme sans avoir subi de modification, l’Indien peut revenir, pendant la saison de disette, au lieu des anciennes bombances, recueillir les reliefs des repas et les moudre pour en faire un aliment nouveau. On vante cette farine comme ayant une vertu nutritive toute spéciale, surtout pour les guerriers[1].

Chacune des petites sociétés primitives qui trouvent dans un cercle étroit les conditions matérielles de leur vie et de leur évolution tendrait naturellement à se maintenir dans sa forme première si les mille contacts, doux ou violents, de tous ces divers organismes politiques et sociaux n’en changeaient incessamment l’équilibre, n’en modifiaient la nature même par de continuels mélanges et phénomènes

  1. Mac Gee, XVII, Report of the Bureau of Ethnology, p. 209.