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l’homme et la terre. — peuples attardés

javelot, le dard de sarbacane, il possédait, et d’une façon définitive, la force matérielle : malgré mammouth et mastodonte, ours et lion des cavernes, crocodiles et ophidiens, il était devenu le maître, sauf pourtant en quelques contrées où il avait à lutter contre des nuées de moucherons ou d’autres infiniment petits ; telles espèces de chauves-souris vampires rendent certains pays complètement inhabitables ; pour échapper à la mort, eux et leurs animaux, des colons de Costa-Rica ont dû fuir les côtes occidentales situées au sud du mont Herraclura.

La genèse de l’instrument primitif employé par l’homme dès les origines de l’industrie paraît être fort simple. Après avoir appris à se servir d’objets extérieurs comme d’armes ou d’instruments, il dut certainement garder avec soin les bâtons et les cailloux qu’il avait appréciés ; il constata, dans l’emploi des objets fournis par la nature, l’avantage que lui donnait telle ou telle forme pour accroître sa force et son adresse. Il apprenait à comparer les diverses branches ou racines pour la flexibilité ou la force de résistance du bois, pour ses qualités comme dard, comme massue ou comme arme de jet ; il découvrit le boumerang, par exemple, qu’emploient certains sauvages, ceux de l’Australie entr’autres, et que les civilisés de nos jours, par suite d’une régression partielle, sont incapables d’utiliser. De même, l’homme primitif voyait la différence des galets dont il armait sa main et qu’il jetait avec plus de précision, un ensemble de mouvements mieux coordonnés que ceux du singe. En nombre de pays, le sauvage se sert encore de la pierre, et la lance de loin avec une sûreté redoutable. C’est le front ouvert par une pierre que, dans la légende judaïque, tomba le géant Goliath, et, dans les pays d’Orient, les bergers de la Susiane, qui ne s’aventurent point dans les pâturages sans avoir leur fronde suspendue à l’épaule, s’imaginent tous être autant de David pour le coup d’œil et l’adresse[1].

Quand la pierre, l’arme primitive, se brisait sur la roche voisine, celui qui l’avait lancée observait à son gré le taillant des arêtes et les ramassait pour de nouvelles besognes, le coup, la coupure, le grattage. De très longs siècles, des cycles s’écoulèrent, nous le savons, pendant lesquels les hommes apprirent à se servir des silex, des obsidiennes ou autres pierres à éclats coupants pour en faire leurs instruments usuels, utilisés à l’infini, comme nous employons aujourd’hui les

  1. Frédéric Houssay, Annales de Géographie, IIIe année.