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l’homme et la terre. — familles, classes, peuplades

ou sont impitoyablement écartées. La volonté commune du groupe s’impose par dictature, et d’autant plus puissamment que la tradition est de plus longue provenance et moins raisonnée : « C’est ainsi que l’on a fait de tout temps » ! Il y aurait donc mort rapide de toute association par manque de renouvellement si les vicissitudes de la vie ne se chargeaient de modifier les groupements par des associations croisées ou de violentes disruptions.

Sous sa forme primitive, la société commençante des hommes, que les besoins de l’entr’aide et de la lutte ont reliés en une seule bande, n’a pas encore eu le temps de se constituer en un ensemble bien défini et les individus n’y sont pas encore rattachés d’une manière très solide. La grandeur de ces groupements varie : chez les Aeta de Luzon, Blumentritt les évaluait à 20 ou 30 associés ; dans l’Australie centrale, ils sont de 30 à 50 (Fison) ; au Brésil, les Botocudo s’associaient à 80 ou 100 compagnons ; les Bushmen de l’Afrique méridionale étaient plus nombreux, de 100 à 200 (Burchell).

Mais la horde n’est, pour ainsi dire, que la matière humaine dans laquelle la société plus savante, groupée en clans, en tribus, en nations, puise ses éléments pour s’organiser, conformément aux mille combinaisons qui conviennent au genre de vie et à l’idéal des communautés en formation.

À cet égard, la variété des constitutions est infinie et les individus ont à s’y accommoder de la façon la plus différente, suivant les milieux, les croisements, les alliances et les conquêtes. L’intégration des groupes secondaires dans les unités nationales plus vastes tend à se faire toujours de manière à sauvegarder les individualités ethniques traditionnelles, mais l’héritage du passé se modifie constamment.

On sait comment les tribus des Peaux-Rouges et celles de l’Australie cherchent à conserver la mémoire et l’orgueil de leur origine par les totem et les kobong, c’est-à-dire par les symboles des animaux ou des plantes dont les diverses tribus portent le nom révéré[1].

C’est principalement chez les peuples chasseurs que la tradition

  1. Fison and Howitt, Anthrop. Institute, 1884 ; Starcke, Famille primitive.