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l’homme et la terre. — iranie

précipita vers Zohak : le monstre s’enfuit tout blême vers le Demavend, où le héros Féridun le cloua sur un roc du volcan. Pendant des milliers d’années le tablier de Kaoueh resta l’étendard protecteur de la Perse ; malheureusement les forgerons n’en conservèrent pas la garde ; les souverains le leur enlevèrent pour en recouvrir le cuir de pourpre et de brocard, pour l’orner de diamants et de saphirs, de rubis et de turquoises ; ils en firent une châsse dont plusieurs hommes seulement pouvaient porter le poids : le peuple ne le reconnaissait plus. L’histoire nous dit que la chapelle mouvante tomba aux mains des Musulmans, lors de la formidable rencontre de Kadesieh, et que les vainqueurs s’en partagèrent les débris. Mais « ce n’était pas le vrai drapeau », se disent les Persans en secret, et tous ont confiance qu’un jour on retrouvera le tablier du forgeron. Sous une autre forme, c’est aussi notre espoir !

Avant d’avoir subi le joug des grands empires conquérants, les nombreuses tribus des monts et du plateau, qui jouissaient encore de leur autonomie politique, devaient se trouver dans une situation analogue à celle des Bakhtyari de nos jours et, comme eux, mener une existence très simple et très pure, alternant leurs occupations entre la culture des combes et l’élève du bétail sur les alpages.

Une ancienne légende de l’histoire des Mèdes, rapportée par Hérodote, nous apprend que, seuls parmi tous les peuples, les habitants de ces hauts plateaux n’obéissaient pas aux lois de la guerre et ne connaissaient que celles de la justice. Ce dut être à l’origine une fière nation que celle où l’éducation des enfants consistait en trois choses : « monter à cheval, tirer de l’arc et dire la vérité », et où la coutume interdisait de mentionner ce qu’il n’était pas permis de faire[1]. On se rappelle l’exclamation du grand roi mède Astyagès, sur le point d’être vaincu par le principicule perse Cyrus : « Se peut-il que ces mangeurs de pistaches se conduisent avec tant de courage ? »[2]

Une particularité du langage primitif des Aryens, tel qu’il nous est révélé par l’étude des divers dialectes qui en sont dérivés, serait de nature à faire admettre de hautes qualités pacifiques chez les populations premières de la race. En effet, les mots relatifs à des occupations paisi-

  1. Hérodote, Histoires, Livre I, pp. 136, 138.
  2. Nicolas de Damas, cité par Dieulafoy, L’Art antique de la Perse, p. 23.