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l’homme et la terre. — Caucasie

l’exception des Svanes du haut bassin de l’Ingur, et des Karatchaï, « gens du Torrent Noir », des vallées septentrionales voisines de l’Elbruz, tous les habitants des montagnes de l’ouest appartenaient au groupe des nations plus ou moins mélangées que l’on désignait jadis sous le nom générique de Tcherkesses ou Circassiens. Il est vrai que les Kabardes (Kabardin, Kabertaï) de l’est, les Adighé du nord-ouest, les Abazes ou Abkhazes du versant méridional présentent entre eux de notables différences provenant du sol, du climat et des relations de commerce, mais ils constituaient un groups ethnique parfaitement reconnaissable. Telle était, d’une manière générale, la distribution des peuples dans le Caucase avant l’arrivée des Russes, et l’on peut dire en toute certitude qu’à l’époque antéhistorique, les conditions du milieu, analogues à celles de nos jours, déterminaient un groupement de même nature chez les rares habitants.

Quelle que fût l’origine de telle ou telle tribu des montagnes, la nature de la contrée condamnait la plupart des indigènes à une existence entièrement isolée. Les vallées du Caucase, n’offrant qu’une porte du côté de la plaine et limitées de tous les autres par les neiges, des glaciers inaccessibles, constituaient autant de domaines distincts, parfois même de véritables prisons, d’immenses chausse-trapes dans lesquelles des peuplades se trouvaient enfermées, gardant leur individualité particulière. Telle vallée de la Svanétie (Souanétie, Svanie) ou du Daghestan était un monde véritablement clos où quelque famille emprisonnée vivait inconnue des nations du dehors ; formant à elle seule une petite humanité ignorant la grande humanité du vaste monde.

En aucune autre région montagneuse de l’Europe et de l’Asie, on ne constate l’existence de tant de groupes humains se distinguant nettement des uns des autres et se refusant à reconnaître des liens de parenté pourtant incontestables. C’est que nulle autre contrée que le Caucase ne présente en même temps et au même degré des caractères d’ordre plus différent, n’exerce, par la richesse naturelle de sa flore et la douceur de son climat, une si grande force d’attraction, ne détient, par la forme de ses bassins à difficile issue, une telle puissance de fixation.

Un passage de la Géographie de Strabon (liv. XI, ch. ii, p. 16), très fréquemment cité, relate que, d’après les récits des marchands,