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l’homme et la terre. — milieux telluriques

Mais ces étendues mornes, où les Eskimaux campent au milieu des glaces, ne leur fournissent que bien avarement les ressources nécessaires à l’existence. Il n’est donc guère probable que ces tribus aient eu pour lieu de naissance les contrées de la grande froidure, habitées aujourd’hui par elles, à moins que le climat local se soit refroidi peu à peu, obligeant les aborigènes à se modifier sans cesse, à changer leur genre de vie pour s’accommoder à la nature ambiante.
    crane d’induit                crane d’algonquin
On présume que les habitants du Grand Nord ont été graduellement refoulés de régions plus tempérées vers les rivages de l’océan Polaire et nombre d’archéologues voient en eux des Magdaléniens suivant le retrait des glaces dans la direction du nord. Dans leurs voyages, les Eskimaux furent évidemment guidés par les facilités de la chasse et de la pêche : ils ont accompagné les bœufs musqués, les baleines, les morses et les phoques. Là où manquaient ces animaux, là aussi manque tout vestige d’habitations innuit, notamment dans l’archipel polaire du nord-ouest[1].

Lorsque l’histoire mentionne les Eskimaux pour la première fois, plusieurs de leurs peuplades occupaient encore des contrées d’un climat moins âpre. Il y a neuf siècles, quand les Normands débarquèrent, beaucoup au sud du pays des Innuit actuels, sur les côtes du Helluland (Terre-Neuve) et du Vinland (Nouvelle-Ecosse ?), les hommes qu’ils eurent à combattre n’étaient point des Algonquins, chasseurs à peau rouge, mais des Skraellinger, c’est-à-dire des Karalit, purs Eskimaux, apparentés à ceux de l’archipel polaire.

De nos jours, la limite est presque partout assez bien marquée entre les deux races et correspond avec les traits de la nature : « Là où sont les arbres, là est l’Indien ; là où commence la mousse, là commence l’Eskimau », dit le proverbe. Dans l’Amérique orientale, des guerres d’extermination ont donné à cette frontière naturelle la consécration du sang versé. « La terre est trop petite pour porter les deux races », disait un Innuit au voyageur Boas[2]. N’est-ce pas là le langage que l’on

  1. Gunnar Isachsen, Petermann’s Mitteilungen, VII, 903.
  2. Petermann’s Ergänzungsheft, no 80.