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journal de la commune

l’anniversaire du plébiscite. Que de changements en Europe depuis que sept millions, deux cent mille imbéciles ont remis leur blanc seing entre les mains d’un homme, d’un seul homme et lui ont dit : « Tu es le maître absolu. Prends l’argent de la France, prends ses soldats, prends sa fortune, prends même son honneur. Fais en ce que tu voudras.

Cet homme est un criminel, on le savait. Cet homme est un aventurier, on le savait. Muni de tous les pleins pouvoirs, absous d’avance, le criminel a, comme un brigand, assailli une nation voisine. L’aventurier a joué la fortune, l’honneur, l’existence même de la France à pile ou face, et il a perdu. — Avec trois cent cinquante mille hommes disponibles, il en a attaqué douze cent mille — comptant sur l’imprévu de sa tentative d’assassinat, comptant sur la mitrailleuse, comptant sur ce qu’il appelait en langage diplomatique « la Providence et ce que les joueurs ordinaires appellent la « Chance ».

Quand il ne s’agit que d’un incident isolé ou d’incidents insignifiants, et en un petit nombre, le hasard règne en souverain : à la Destinée il est absolument indifférent que le sou tombe pile ou face, que l’oiseau des augures vole à votre droite ou à votre gauche. Mais à mesure que se multiplient les objets, les incidents, les événements, les séries se révèlent, les équilibres s’établissent, les compensations se formulent, ce qu’on appelle la Loi des Grands Nombres apparaît. Quand les nombres sont énormes, quand les événements sont immenses, plus d’incertitude, plus de doute, l’ensemble est soumis à des lois fatales et mathématiques : ce que les joueurs médiocres appellent hasard, ce que les joueurs plus forts appellent Chance, n’est ni hasard ni chance mais la nécessité mathématique, la logique des événements, la raison de l’histoire.

Napoléon est, ou était, un mauvais joueur, en ce sens qu’il corrigeait les écarts de la fortune. En d’autres termes, il trichait et pratiquait la haute escroquerie des coups d’État. Il se jeta donc dans l’entreprise insensée de l’expédition d’Allemagne, comptant sur sa chance étonnante, quasi-miraculeuse jusque-là, comptant sur ses tours de passe-passe et d’escamotage diplomatique. Tricheur, c’est-à-dire fourbe. Napoléon l’était dans l’âme, mais, avant tout,