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Page:Reclus - La Commune de Paris au jour le jour.djvu/381

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journal de la commune

ments de fumée… c’est la poudrière du Luxembourg qui saute avec ses balles, ses cartouches, ses engins meurtriers. Nous avons notre maison tout près avec des enfants dedans. Maison, amis, parents, enfants, est-ce que tout cela existe encore ?

De nouveaux nuages, d’autres vapeurs opalines surgissent et se développent. Ce sont d’autres incendies. On en compte distinctement cinq ou six grands. Quant aux petits, ils sont trop nombreux. Qu’est-ce qui brûle ?

Tout, nous répond-on. D’abord le Ministère des Finances, c’est par lui que les Versaillais ont commencé. Brûlent les Tuileries, le Louvre, le Luxembourg, l’Hôtel de Ville, les ambulances du Sénat, les grands magasins de nouveautés dans les rues du Bac et de Rivoli. Tout brûle, les Versaillais ont commencé, les fédérés ont continué. Exaspérés de ce qu’on leur aurait tué du monde en tirant de derrière les fenêtres, ils auraient allumé les magasins du Petit Saint-Thomas, les rues de Lille et de Verneuil, siège de la haute aristocratie rurale.

Nous en sommes donc venus là. Nous nous faisons la guerre entre concitoyens à la façon des Dacota et des Delaware se brûlant réciproquement leurs villages. On contemple ce spectacle d’horreur avec une froide désespérance avec un sang-froid méprisant. Brûle ce qui brûle : Précipités au fond de l’abîme, plongés dans le gouffre des désastres, quand on troue tant de poitrines vivantes, quand on écrase tant de cervelles qui pensent, quand nous étouffons dans une mer de sang, que nous font encore monuments et statues, livres et tableaux, paperasses et tapisseries ! Brûle ce qui brûle ! Quand une armée de deux cent mille baïonnettes, avec cinq cents canons et obusiers se ruent sur nos quartiers, quand la horde des bonapartistes, cléricaux, orléanistes et libéraux combinés s’acharnent sur notre infortunée République démocratique et sociale ; quand la France se suicide de ses propres mains, que nous font quelques joyaux de moins au collier de Paris qui expire !

Quand on a perdu « les causes de la vie » ainsi que s’exprime Lucrèce, on voit que le bonheur est peu de chose, et qu’il tient à peu de chose. Quand la racine maîtresse est coupée, tronc et branchages tombent volontiers.

Flottants comme la malheureuse méduse échouée sur le