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journal de la commune

formions des plans pour la Fédération des États-Unis d’Europe, nous sommes enfermés comme des rats dans une haute enceinte de murailles. Des chiens-dogues et lévriers se jettent sur nous et nous acculent dans un coin. Prenant dans le tas, ils nous cassent l’échine. Des rats ! Ce mot ne suffit pas pour dire l’horreur que nous inspirons aux amis de l’ordre et l’acharnement que des libéraux mettent à nous poursuivre. Nous sommes punaises qu’on torture, qu’on enfume, qu’on traque dans les fentes de boiserie et qu’on écrase avec une rage voluptueuse. Et pourtant, ce que je croyais hier, je ne puis m’empêcher de le croire aujourd’hui !…

La progression est intéressante. Après la canonnade des lourdes pièces qui balaient les barricades, viennent des charges à la bayonnette des zouaves et chasseurs d’Afrique nettoyant les places et les rues, puis les mouchards qui furètent dans les coins, puis les procureurs et argousins qui enfoncent votre porte, vous arrachent à femme et enfants et entassent vos papiers, secrets du foyer et notes de travaux, dans les cartons sales d’un greffe ou d’une Préfecture de police.

Quel brusque changement ! On légiférait hier, on passe aujourd’hui à l’état d’exilé, d’insurgé, pis que cela de malfaiteur, de criminel, parce que, combattant d’hier, on est le vaincu d’aujourd’hui, objet d’horreur et d’effroi, même pour des amis qui n’ont que trop raison de craindre que notre entrée chez eux ne soit suivie de mort, de ruine ou de prison. Un bourgeois libéral, ami de ma famille depuis quarante ou cinquante ans, excellent homme du reste, me disait, en me refusant un refuge sous son toit : « En dehors des amis de l’ordre, il n’existe plus aujourd’hui que trois catégories d’individus : la première, des gens à fusiller, la deuxième, des gens pour Cayenne, la troisième, des gens pour Nouka-hiva, et vous devez appartenir à l’une de ces trois catégories ! »

Cherchons pourtant si nous ne pourrons pas nous glisser dans une quatrième catégorie. Errant dans la rue, flânant de ci, flânant de là, tâchons de ne pas nous trahir et de ne pas laisser deviner aux policiers mouchards et brassards tricolores, jeunes officiers et lieutenants faisant du zèle, que je suis un chien enragé.