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Page:Reclus - La Coopération, ou Les nouvelles associations ouvrières dans la Grande-Bretagne.djvu/71

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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

de tous, et que la moralité et l’intérêt bien entendu sont plus étroitement alliés qu’on ne l’imagine généralement.

Avec une organisation aussi simple et efficace, la Coopération avance comme poussée par un élan spontané, elle avance par un mouvement doux, mais irrésistible ; son progrès est continu et accéléré. La création des Pionniers était, par un de ses administrateurs, comparée d’une manière frappante au figuier baniane. Retombant sur le sol, ses branches poussent des racines, deviennent des troncs à leur tour, et s’entourent d’une génération nouvelle de rejetons. L’arbre se fait forêt. La petitesse, et même l’insignifiance de la Coopération, à son origine, n’est comparable qu’à la grandeur des résultats qu’elle a obtenus ou qu’elle doit obtenir. L’Association commence par les individus, c’est pour cela qu’elle est si puissante sur les multitudes ; le mouvement se propage de molécule intégrante en molécule et transforme ainsi la masse. — « La Coopération, disait très-heureusement M. Vansittart Neale, commence par tirer l’individu de la bourbe de la misère, terrain mouvant ; elle l’asseoit ensuite sur un îlot solide, et désormais cet homme est au niveau de ses affaires. Par son entrée dans l’Association, l’ouvrier fait partie d’une compagnie d’assurances mutuelles contre la misère. Jadis il se trouvait en arrière d’une cinquantaine de francs peut-être, aujourd’hui il est en avance d’autant. Sa position a changé du tout au tout ; il a maintenant « quinze jours de vie à son crédit, » comme s’expriment si bien les Anglais. »

Le mouvement qui nous occupe est en pleine période individualiste : il n’a pas encore, à proprement parler, de tendance générale et collective, et le tempérament national s’opposera longtemps à ce qu’il prenne un caractère d’ensemble. Plusieurs Stores coexistent dans une même ville, d’autres sont à quelques kilomètres de là, groupés par dizaines. L’on suppose que ces associations vont immédiatement s’associer entre elles ? — Ce n’est pas en Angleterre que les choses se passent ainsi ! Chaque société attend, au contraire, que tous ses membres se soient mis à jour, puis, dès que l’entreprise est solidement constituée, elle tend, ne serait-ce que par force d’inertie, à conserver sa vie propre, locale et indépendante. Cependant tout excès est un défaut. À la fin, les Coopérateurs ouvrent les yeux à l’évidence, et s’aperçoivent que, par une existence trop isolée, leurs sociétés se font concurrence au lieu de se prêter un mutuel appui. Chacune d’elles trouve son profit à acheter en gros pour revendre en détail ; mais, vis-à-vis de ses fournisseurs, chaque société n’est, comparativement, qu’un acheteur en détail. Pourquoi plusieurs sociétés, en réunissant tous leurs achats en gros en une seule commande quintuple, décuple ou centuple, n’ajouteraient-elles pas le bénéfice du gros sur gros au bénéfice du détail sur gros. En décembre 1860, M. W. Cockshaw, un homme de sens, s’exprimait ainsi :