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Page:Reclus - La Coopération, ou Les nouvelles associations ouvrières dans la Grande-Bretagne.djvu/76

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ASSOCIATIONS OUVRIÈRES DANS LA GRANDE-BRETAGNE.

part des Stores se refusent à vendre de la bière ou des liqueurs fortes. La tempérance favorise la Coopération, et la Coopération favorise la tempérance ; on l’a bien vu à Bury où, dans une seule année, l’Association a rapporté à ses membres 50 % d’intérêts, tandis que les cas d’ivrognerie diminuaient de 50 % dans le district. Il a été constaté d’ailleurs que la cause de la tempérance était mieux servie dans une ville par la fondation d’un magasin sociétaire que par la création d’une société d’abstinence.

Il faut donc une certaine moralité pour s’engager dans une association de laquelle on attend le bien-être ; vice versa, un certain bien-être est fécond en progrès intellectuels et moraux, il produit généralement cette dignité personnelle qui, d’après M. Proudhon, est la source de toutes les autres vertus. L’économie facilite l’aisance qui, à son tour, rend l’économie possible ; car rien ne ruine comme d’être pauvre. Sans prévoyance, pas d’amélioration pour les classes dites inférieures. « Si les patrons dépensaient comme leurs ouvriers, disait quelqu’un, et si les ouvriers économisaient comme leurs patrons, les uns et les autres changeraient bientôt de place. »

Mais, pour rester dans la question spéciale, si la Coopération n’avait d’autre effet, en Angleterre, que de porter un coup mortel à l’intempérance, elle aurait encore rendu à la cause de l’humanité un service à jamais mémorable. D’après le témoignage de magistrats renommés, Coleridge, Gurney, Alderson et autres, l’excès de boissons est la cause directe de la plupart des crimes qui se commettent en Angleterre ; le juge Patterson est allé jusqu’à déclarer que s’il n’y avait plus d’ivrognerie, on pourrait fermer le tribunal correctionnel et la cour d’assises. J’ai eu sous les yeux un document, dont quelque missionnaire ambulant m’avait gratifié, sur le chemin de fer de Londres à Woolwich, dans un wagon de troisième classe. C’est un petit tableau ayant pour titre : « Impôts de la Grande-Bretagne. » Ils étaient figurés par diverses pyramides jaunes, rouges et bleues, dont chacune représentait la pile d’écus annuellement dépensée pour le service du budget, pour la taxe des pauvres, etc. La plus haute, de beaucoup, indiquait la consommation annuelle en tabac, en bière et en liqueurs fortes. L’effet de cette lithographie était immédiat et saisissant, et, après l’avoir vue une fois, il était difficile de jamais l’oublier. Une note explicative établissait ceci :


« En 1833, nos impôts volontaires pour tabacs et boissons sont supérieurs de moitié à tous ceux que nous payons au gouvernement ; ils sont douze fois plus considérables que nos impôts pour les pauvres, et soixante-dix fois plus forts que nos contributions aux diverses sociétés pour la diffusion de la morale et de la religion. Le tabac et la boisson nous ont coûté l’année dernière 1 937 500 000 francs. Avec cette somme vraiment colossale, on aurait pu abolir le paupérisme anglais, et acheter