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Page:Reclus - Le Mariage tel qu’il fut et tel qu’il est.djvu/14

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révolution troubla les esprits, ce fut assurément celle qui substitua le patriarcat aux institutions matriarcales.

Cérès, au dire des poètes et des historiens, fut la législatrice des peuples. Les tribus de pêcheurs, chasseurs et pasteurs s’oubliaient dans la vieille sauvagerie dont émergèrent les colonies d’agriculteurs, orgueilleux de leur charrue autant que de leur lance et de leur épée. Notre civilisation émane de l’homme des champs, qui initia le monde à des institutions juridiques déjà compliquées, à tout un système de science rudimentaire, qui formula un ensemble de lois politiques, civiles et religieuses, instaura un code resté en vigueur dans nos campagnes, un droit coutumier qu’observent nos paysans.

L’agriculteur antique se considérait comme l’époux de la terre, qu’il croyait, presque sans métaphore, féconder de ses sueurs. Le mariage, tel qu’il l’établit, ne s’explique clairement que comme institution agricole. Autant le cultivateur se sentait supérieur à la glèbe, autant il croyait l’emporter sur son épouse, dont le sein, prétendait-il, n’est que le champ dans lequel le semeur dépose la semence. Quelles qu’elles soient, orge ou blé, épautre ou millet, la terre les accepte indifféremment, leur transmet ses sucs ou son humidité : mais elle ne produit elle-même, disait-il, qu’une végétation folle et désordonnée, qu’une animalité sauvage et féroce. Des mottes prennent forme organique ; la boue tiédit, la poussière s’anime : serpents, crapauds, grenouilles, rats et fourmis de surgir, insectes de pulluler, vermine de grouiller ; baies âpres, fruits âcres de se nouer aux buissons et sauvageons ; alors d’apparaître orties méchantes, houx et chardons piquants, rue infecte, chiendent envahisseur, ciguë vireuse, belladone empoisonnée. Symboles du prolétariat, images du commun peuple, les joncs des vasières, les prêles et les roseaux foisonnant dans les marais, toute une démocratie végétale. Par ses goûts, ses passions et ses instincts, la foule est toujours femme, la femme est elle-même fille de la Terre et son incarnation directe. De progéniture spécialement féminine « sont les enfants naturels », les champis trouvés sous un buisson, les bâtards ramassés dans un carrefour, les adultérins nés dans la fange du ruisseau. De même procréation sort la multitude mal nourrie, l’engeance pauvre et misérable, que les riches et puissants, la voyant faible, traitent facilement de lâche. Deux races sont en présence, celle des Eupatrides, ou hidalgos de l’Antiquité, glorieux maintenant d’avoir un père, et cette prolification anonyme pondue par la mère Gigogne, tourbe de « gens qui ne sont pas nés », comme s’expriment agréablement ceux