Page:Reclus - Le Mariage tel qu’il fut et tel qu’il est.djvu/19

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Il ne s’agit pas ici d’un forçat vulgaire. La défunte était dans les liens du mariage, liens que la mort a rompus.

Exagérons-nous, en disant que la femme est toujours une captive ? Qu’elle est toujours opprimée par la réaction du patriarcat contre les institutions matrimoniales ? Que le rapt et la violence ont laissé d’ineffaçables traces dans le mariage dont ils ont façonné les débuts ? Et que l’évolution dans laquelle l’humanité est engagée depuis une trentaine de siècles est toujours hostile à la femme ? Hostile, partant injuste. Mais le système s’affaisse déjà sur lui-même ; nous sommes en réaction contre lui, et du moment qu’il est contesté, il ne fera plus longue vieillesse.

De par le Code civil, en quoi consiste le mariage, chez nous autres, Français ?

Devant le public assemblé et les représentants de la loi, par une déclaration solennelle, la fille met son corps, sa vie, sa fortune et son honneur en la possession d’un homme, tenu désormais à donner sa protection — terme très vague — en retour de l’obéissance — terme très net — qui lui est acquise. Cette personne n’aura plus la libre disposition de soi-même. Si, à tort ou à raison, elle déserte le toit conjugal, le mari peut la faire ramener par les gendarmes. Le mari peut la débouter de l’éducation de ses enfants, peut même les lui enlever entièrement, s’il lui plaît ainsi, les expédier assez loin pour qu’on ne les revoie plus. Code en main, plus d’un misérable a menacé sa femme, qui résistait à ses caprices, d’accomplir cette basse vengeance. — Est-elle lésée dans ce qui lui est laissé de droits ? — Le Tribunal ne lui accordera réparation que si le mari y consent. — Et si le mari a perpétré l’offense ? Elle ne citera le coupable qu’avec l’assentiment du coupable. Toute créature humaine qu’elle soit, elle n’a droit à la justice que sous le bon vouloir du seigneur et maître. Aux yeux de tous, aux yeux de ses propres enfants, la femme est un être manifestement inférieur à son conjoint, cela en nos pays, plus heureux que les nombreuses contrées où elle est esclave, équivalent légal des pièces de bétail qu’on achète et qu’on vend.

Nous ne voulons rien exagérer, et, parce que nous critiquons le mariage légal, nous ne prétendons point qu’il ne produise que crime et malheur. Nous reconnaissons hautement que, dans les mariages contractés sous les auspices de l’autorité civile, il est des unions qui sont aussi heureuses que possible ; il en est plusieurs