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Page:Reclus - Le Mariage tel qu’il fut et tel qu’il est.djvu/8

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immobile ce qu’il n’a jamais vu changer, immuable ce qu’il n’a pas senti bouger ; car il n’a jamais mis en question la prétendue évidence des sens. C’est ainsi qu’on disait la Terre centre éternel des cieux, la Terre, qui, depuis des cycles incomptés, se précipite à travers les constellations avec une vélocité prodigieuse. Comme il branlerait la tête, le paysan né dans son village, si tout abruptement on lui déclarait qu’il laboure un fond de mer ; que de cette colline à l’horizon, il n’est pas un centimètre cube qui n’ait grouillé dans la vase, nagé dans les flots ; que la roche au milieu des luzernes est arrivée de deux cent cinquante lieues, voiturée sur un glaçon ; que les montagnes bleues à l’horizon, que ces montagnes sont en marche vers la mer, et qu’elles roulent, emportées par les torrents et les rivières ! Il hochera la tête, votre bonhomme, si vous avancez qu’on n’a pas toujours été marié par le ministère du prêtre et de l’officier municipal. — Rien n’est plus vrai, cependant ; — mais comment admettre ce qu’on ne peut comprendre ?

Il faut, en effet, une réflexion déjà aiguisée par les modernes découvertes scientifiques pour accepter pleinement le fait que l’Univers est engagé dans une série de transformations incessantes, que nos institutions sociales, à l’instar des grands phénomènes cosmiques, se modifient par leur action réciproque dans le cours des longs âges : que l’histoire et la géologie se ressemblent, que la Nature et l’humanité se développent parallèlement et suivant les mêmes lois.

Rapt, meurtre, esclavage, promiscuité brutale, tels furent les débuts de l’institution matrimoniale, débuts peu glorieux, mais dont nous n’avons aucune honte : plus bas nous avons commencé, plus haut nous espérons monter. Par ce qui se pratique parmi les populations contemporaines les plus arriérées, nous jugeons des mœurs de notre propre race, aux temps reculés dans lesquels elle n’avait pas d’histoire. Que nous apprennent cent et une relations de voyageurs ?

Des guerriers, — aux cours d’assises on les qualifierait d’assassins, — une bande de guerriers surprennent un village. La nuit est profonde ; jusqu’aux huttes de roseaux, jusqu’aux gourbis tressés de ramée, les envahisseurs se sont glissés à pas de loup, sans faire crier une feuille sèche. Soudain, ils poussent des cris féroces, des rugissements terribles, secouent les torches, brandissent des tisons. En un clin d’œil s’embrasent les torches de pin, les toits de feuilles flambent et pétillent. Les familles qui sommeillaient, les individus accroupis, empaquetés, pressés les uns