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Page:Reclus - Les Primitifs.djvu/162

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les inoïts occidentaux.

les anciennes coutumes tomber en désuétude, les distinctions antérieures devenir sans objet. Ce que les indigènes avaient pris jusque-là pour dieux, bons esprits, patrons et protecteurs, était transformé en diables d’enfer ; la conscience troublée ne se reconnaissait plus dans les questions de bien ou de mal. Le fusil et l’eau-de-vie, il n’y avait plus que cela. Les chefs, bafoués par un paltoquet d’outre-mer, se sentaient dégradés, avaient perdu toute volonté, toute dignité devant le pistolet, tonnerre de poche ; les sorciers eux-mêmes avaient perdu la tête, reconnaissant leur ridicule impuissance devant la grande magie des blancs. Les bras du guerrier tombaient paralysés devant les armes foudroyantes ; avec son arc et ses flèches, un héros n’était plus qu’un sot en face d’une carabine. En perdant toute confiance en eux-mêmes, ils perdaient le plaisir de vivre et jusqu’à leur tempérament. Plus de joie ni de gaieté, plus de chants ni de danses, plus d’imaginations grotesques et bouffonnes. Renfermons-nous dans un jour triste et sombre, dans une atmosphère épaisse et lourde ; descendons tout vivants dans un caveau funéraire… celui de notre nation ; mourons avec ce qui fut notre patrie[1].

La civilisation moderne, irrésistible quand elle détraque et désorganise les sociétés barbares, se montre d’une singulière maladresse à les améliorer. C’est faute de bonté, faute d’humanité. Notre génie ne se montre ni aimable ni sympathique. Quoi ! rencontrer un peuple si doux et patient, si bien porté à la justice et à l’équité, mais ne savoir que subjuguer et fustiger, que décimer et détruire ! Ce petit monde avait la gaieté, l’enjouement, la bravoure ;

  1. Dall.