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il prédit le temps à venir, publiant, chaque année, à partir de 1800, des almanachs de prédiction. Il cessa en 1810, quand il fut rabroué par l’empereur devant les académiciens au point qu’il fondit en larmes. Sur quelques points pourtant il toucha la vérité. En 1792 il compara l’atmosphère à une mer, avec ses courants et ses marées ; en 1802, dans ses époques géologiques, il conçut l’immensité de ces époques qui s’opposent aux révolutions de Cuvier.

J’en viens à l’infirmité qui fut décisive en sa vie. Comme il abusa de la loupe et du microscope, lentement sa vue s’affaiblit ; puis une cataracte aggrava son mal. En 1797, à l’âge de 53 ans, — cette date est importante, — il fit nommer Latreille comme aide-naturaliste pour « l’aider dans l’étude des insectes ».

Il eut alors des heures d’inaction forcée qu’il utilisa pour ses chères spéculations. Jusqu’alors elles ne portaient pas sur l’histoire naturelle. Son cerveau avait deux compartiments étanches, l’un spéculatif pour la physique, la chimie, la météorologie ; l’autre positif, pour les sciences naturelles. Aussi n’avait-il encore posé aucun jalon pour sa théorie transformiste et même admettait-il la fixité des espèces.

Ce reploiement sur lui-même l’obligea à ne plus dépenser son énergie mentale à des travaux d’observation et d’analyse. Notre esprit succombe sous l’amas des faits et n’arrive plus à en concevoir l’ensemble. Auguste Comte, quand il édifia sa philosophie positiviste, obéit à la nécessité de ne plus lire. Pour Lamarck, la cécité lui imposa de ne plus chercher les détails. Et comme il avait acquis en sa mémoire une collection abondante de faits il put à loisir les étudier, les comparer, en tirer la synthèse. Toute son énergie mentale fut employée aux recherches spéculatives. C’est seulement en 1897, que Lamarck commença à publier ses Mémoires de physique et d’histoire naturelle. Il conçut sa théorie transformiste et l’exposa le 11 mai 1800. Parce qu’il philosophait sur une science qui lui était familière, il aboutit à une théorie valable. Il ne raisonnait plus à priori, mais avait acquis sur la matière des connaissances très étendues et ne systématisait que sur de nombreuses données.

En 1809, apparut sa Philosophie zoologique où il exposa toute sa théorie sur la création des êtres vivants. En 1815 enfin il reprit et remania sa théorie dans son Introduction à l’histoire naturelle des animaux sans vertèbres.

Cela ne l’empêchait point de poursuivre ses travaux de zoologie concrète. Il publia, à partir de 1815 ; l’Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, œuvre de systématique et de description. Il put en écrire lui-même les cinq premiers volumes, sa vue s’affaiblit lentement. Ce n’est qu’en 1818 qu’il dut dicter à sa fille la deuxième partie du sixième volume, puis le septième. Il mourut en 1829.

Il fut méprisé durant sa vie, oublié après sa mort, longtemps dédaigné. C’est que la science officielle de son temps était créationniste et fixiste ; elle resta telle jusqu’à Darwin.

Et ce dernier qui, en 1859, reprit le problème de l’Origine des espèces,