Page:Reinach - Cultes, mythes et religions, Tome II, 1909.djvu/10

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téméraire d’affirmer qu’un fait ou un nom comporte une explication totémique. Parmi les faits qu’ont recueillis de notre temps les ethnographes et les voyageurs, il en est sans doute beaucoup qui, mieux connus dans leurs détails, comporteraient des interprétations toutes différentes. Mais c’est précisément pour ce motif que, dans mes études sur le totémisme, j’ai pris le plus possible, pour point de départ, les faits relatés par les auteurs grecs et romains. Ces auteurs n’avaient pas de théories ; ils ne se doutaient pas de ce que nous appelons le totémisme ; mais ils notaient, comme des curiosités, les rites et les usages qui leur paraissaient sortir du commun. Or, quand même l’ethnographie ne nous aurait rien appris sur le totémisme moderne, la masse des faits rapportés par les écrivains classiques où les animaux et les végétaux jouent, à un titre quelconque, un rôle tutélaire, suffirait à autoriser la théorie d’ensemble que j’ai présentée du totémisme primitif, jusqu’au jour où l’on aura proposé une autre théorie qui rende également compte de tous ces faits. Il est possible, il est même probable que tous les oiseaux d’augure ne sont pas d’anciens totems ; mais il est certain que les anciens totems, animaux protecteurs de la tribu ou du clan, ont rendu, entre autres services, à leurs fidèles celui de leur signifier l’avenir, comme la vache (bous) qui conduisit Cadmus à Thèbes de Béotie, comme le loup (hirpus) qui guida les Hirpini du Samnium (t. I, p. 25). Le rôle de guide étant souvent attribué à des oiseaux — par exemple au VIe livre de l’Enéide, où deux colombes guident Énée, fils de la déesse-colombe — il me semble naturel et nécessaire de voir là le principe de la divination exercée par les oiseaux. Une fois le principe admis, l’idée lancée, les hommes n’auraient pas été des hommes s’ils n’avaient généralisé leur « découverte » et demandé à d’autres oiseaux, totémiques ou non, les services qu’ils croyaient tirer de quelques-uns.

La doctrine qui explique par le totémisme la domestication des animaux et celle des plantes a été, comme je l’ai déjà dit, indiquée en quelques mots par M. Frazer, admise par M. Galton, développée par M. Jevons, enfin reprise en France et peut-être complétée par moi. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de l’exposer à des naturalistes qui n’en avaient jamais entendu parler et j ai éprouvé une vive satisfaction à constater l’effet presque foudroyant qu’elle faisait sur eux ; ils semblaient se frotter les yeux, comme des hommes qui, sortant des ténèbres, sont brusquement conduits au