Page:Reinach - Cultes, mythes et religions, Tome II, 1909.djvu/236

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Plutarque, qui rapportent ce fait[1], n’en proposent d’explication ; ils auraient pu cependant, à l’exemple d’Hérodote, imaginer un serment d’Aristide, par exemple que l’alliance durerait tant que le fer ne remonterait pas du fond de la mer. Peut-être Aristide ne savait-il pas lui-même ce qu’il faisait ; il se conformait seulement à un vieil usage des navigateurs ioniens, à un rite en vigueur dont la Méditerranée orientale, consistant à prendre la mer à témoin par une offrande incandescente, à l’associer aux desseins qu’elle devait seconder de sa bienveillance, d’autant qu’en l’espèce c’est bien la domination de la mer qui était enjeu.

Au Moyen Age et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les Vénitiens ne savaient pas pourquoi leur premier magistrat ou doge montait annuellement sur une galère nommée Bucentaure, se faisait conduire au large du Lido et épousait la mer en y jetant un anneau. On racontait, à Venise, que des cérémonies annuelles, accomplies en mer sur le Bucentaure, avaient été instituées vers l’an 997, sous le doge Orseolo II, en commémoration de la première conquête de la Dalmatie par les Vénitiens. On disait aussi qu’en 1177 le pape Alexandre III, monté sur le Bucentaure avec les premiers citoyens de la République, alla au-devant du doge Sébastien Ziani, ramenant Othon prisonnier après la victoire de Capo-Salvatore, qui eut lieu le 26 mai, jour de l’Ascension. « À cette occasion, le pape retira de son doigt un anneau d’or et le remit au doge en lui disant : "Tiens, mon fils, doge de Venise, c’est l’anneau nuptial de ton mariage avec la mer. Nous voulons que désormais toi et tes successeurs l’épousiez ainsi chaque année ; elle doit vous être soumise comme une épouse dont tu as été le premier protecteur et le gardien, car tu l’as entièrement délivrée des ennemis qui l’infestaient." C’est ainsi que tous les ans, le jour de l’Ascension, le doge, entouré de la noblesse, des principaux officiers de l’État et monté sur le Bucentaure, jetait un anneau d’or dans la mer en prononçant

  1. Aristote, Ἀϑθην, πολιτ., 23 ; Plut., Aristides, 41.