Page:Reinach - Diderot, 1894.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
161
PHILOSOPHIE.


fiant sans cesse, il sème un peu partout et au jour le jour les idées qui l’obsèdent et dont les contradictions ne lui paraissent que des étapes vers la vérité définitive qu’il entrevoit ; mais, Juif-Errant de la pensée, il ne s’arrête pas pour les coordonner. Il faut qu’il marche, encore et toujours, jusqu’à ce qu’il tombe. Dès lors, comme il ne saurait être question de tenter artificiellement ce que ce grand audacieux n’a point osé, il faut se contenter d’esquisser les évolutions de son esprit, les tâtonnements de sa pensée, les progrès de sa science ou de son rêve. Croit-il en Dieu ? Il a été athée violemment, avec passion, comme s’il détestait encore plus qu’il ne niait, ce qui implique contradiction, mais il a séjourné longtemps dans le déisme et le panthéisme et il n’est pas bien certain qu’il ne soit pas revenu, sur le tard, du moins par accès, à l’idée d’un Dieu « âme du monde ». Qu’il explique la nature ou qu’il cherche à se rendre compte soit de la diversité des substances, soit de l’origine des âmes, il n’a pas besoin pour son compte de l’hypothèse divine qui « rend les problèmes, quels qu’ils soient, non pas plus clairs, mais plus confus, et ne fait, en tout cas, que reculer les difficultés sans les résoudre » ; après une courte crise de fièvre religieuse, sa prétention dominante, sinon son ambition, c’est de se passer de Dieu. Mais de cette affirmation que Dieu est inutile à cette affirmation qu’il n’existe pas et à cette autre que l’athéisme peut être, non seulement la doctrine d’une petite école, mais celle d’une nation civilisée,

11