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DIDEROT.


castigat flendo mores, et pourrait se lire au prône ; les arts plastiques eux-mêmes, dont la cause finale est exclusivement, sinon dans la beauté, du moins dans la vérité naturelle, n’échappent pas à cet embrigadement ; il en fait les véhicules de la morale, des vertus civiques et surtout domestiques. Maintenant, après ce débordement de vertu oratoire et tout le long de cette vie généralement irréprochable, interrogez le philosophe sur les principes mêmes qu’il prêche si bien et qu’il pratique encore mieux : un gouffre, se creuse sous ses pieds ; cette morale, qu’il a voulu indépendante de Dieu et qu’il ne veut apprécier qu’au seul taux de la raison, aboutit au retour le plus effréné à l’état de nature.

Serait-ce qu’il n’y a point de morale, j’entends dans le sens absolu du mot, sinon en dehors de l’idée de Dieu, du moins en dehors de l’Idéal qui est aux mœurs ce que le Beau en soi est aux arts, ou que, plus simplement, Diderot a choisi trop bas le taux de la raison qui règle son éthique ? Quoi qu’il en soit, cette éthique est sans base comme sans principe directeur ; elle flotte dans le vide, sans boussole et sans pôle, s’élevant plus d’une fois, mais comme par accident, jusqu’aux régions de la Beauté morale, mais plongeant le plus souvent, comme sous l’action de la pesanteur, dans les fanges de la bestialité primitive. De la même plume qui trace cette noble ligne : « Celui qui blesse l’espèce humaine me blesse ! » si Diderot, l’instant d’après, peut écrire, en toute tranquillité d’âme, le panégyrique